un télescope dans l'oeil ?
Examiner la rétine d'un patient jusqu'à en distinguer les cellules… cette prouesse devrait bientôt être possible grâce à une technologie empruntée directement aux télescopes. Un tel outil d'investigation devrait permettre à terme de diagnostiquer précocement de nombreuses maladies rétiniennes.
Présentant le prototype installé aux Quinze-Vingts, François Lacombe,
astronome à l'Observatoire de Paris et coordinateur du projet Oeil.
[url]Un étrange meccano[/url]
Depuis quelques semaines, une chambre du service d'investigation clinique de l'hôpital des Quinze-Vingts (Paris) accueille un étrange appareil. Fixés sur une immense table, des miroirs, des lentilles, des caméras ou encore des lasers…
Difficile de croire, au premier abord, que ce « meccano », conçu en partie par le LESIA* (observatoire de Paris), pourrait bientôt révolutionner l'ophtalmologie.
Et pourtant... Profitant d'une technologie utilisée depuis quelques années sur les plus grands télescopes, ce prototype, pièce maîtresse du projet Œil, est déjà capable de réaliser ce qui paraissait encore impossible il y a quelques années : observer en temps réel les cellules rétiniennes d'un patient.
[url][url]Un oeil imparfait[/url][/url]
L'observation de la rétine est un exercice quotidien pour les ophtalmologistes. Mais le « fond d'œil », tel qu'il se pratique encore aujourd'hui, a ses limites. Notre organe visuel est en effet loin d'être parfait. Film lacrymal, cornée, cristallin, humeur vitrée… pour observer la rétine, il faut regarder à travers plusieurs milieux plus ou moins transparents, inhomogènes ou instables.
Il en résulte que l'image obtenue est dégradée. Si elle permet d'observer les grandes structures du tissu rétinien, la fovéa, la papille (le départ du nerf optique), les vaisseaux sanguins, elle ne permet pas de distinguer des éléments plus petits tels que les cellules rétiniennes (les « cônes » et les « bâtonnets »). Pour pouvoir accéder à ce niveau de détail, il faudrait pouvoir compenser en temps réel les défauts et les mouvements de l'œil… Et c'est là que la technologie spatiale entre en jeu.
L’optique adaptative
Étonnamment, les astronomes rencontrent les mêmes difficultés que les ophtalmologistes. Les télescopes cloués au sol sont en effet confrontés aux turbulences atmosphériques qui affectent en permanence la lumière des objets observés. Il en résulte que la précision des images obtenues est médiocre, bien loin de la résolution maximale qui dépend en théorie uniquement du diamètre du miroir de l'instrument.
En orbite autour de la Terre, loin de l'atmosphère, le télescope spatial Hubble, dont le miroir ne dépasse pas 2,40 m a longtemps été capable d'obtenir des clichés bien plus détaillés que les plus grands télescopes terrestres dont les miroirs dépassent les 8 m.
Depuis quelques années, pourtant, les astronomes ont trouvé une parade pour s'affranchir artificiellement de l'atmosphère : l'optique adaptative. Il s'agit de compenser en temps réel les mouvements de l'atmosphère à l'aide d'un miroir déformable piloté par un puissant système informatique. L'image obtenue est alors parfaitement définie, très proche des limites théoriques de l'instrument.
Tout un monde à (re)découvrir
Cet outil devrait être d’une grande utilité pour les médecins, en particulier pour le diagnostic précoce de nombreuses maladies dégénératives de la rétine. Mais encore faut-il être capable d'interpréter ces images inédites.
« Aussi surprenant que cela puisse paraître, une rétine vivante à l'échelle cellulaire, on ne sait pas encore ce que c'est, fait remarquer François Lacombe, astronome et coordinateur du projet Œil. On connaît ces mêmes cellules sur des prélèvements post-mortem, mais on ne les a jamais vues fonctionner. On ne sait pas identifier un stade précoce de maladie rétinienne. »
En livrant le prototype à l'hôpital des Quinze-Vingts, les médecins vont pouvoir tester le dispositif sur des patients et comprendre, enfin, ces nouvelles images. Une campagne de tests portant sur 200 sujets malades et 40 sujets sains est sur le point de démarrer. Elle devrait durer plusieurs mois.
Cette période de tests devra également permettre d’améliorer le prototype en relation avec les médecins. « Enfermés dans notre petit monde d’opticiens à l’observatoire de Meudon, on ne pouvait pas deviner quels progrès il fallait faire, dans quels sens il fallait faire évoluer l’appareil, explique François Lacombe. Ce sont les médecins qui vont maintenant nous guider. Peut-être vont-ils nous demander de favoriser la sensibilité de l'instrument au détriment de la vitesse. Ou le contraire… »
Des enjeux industriels évidents
Reste qu’il va falloir faire vite. Car derrière cet exploit scientifique, se cache un enjeu industriel de taille. 30 millions de personnes dans le monde sont atteintes de dégénérescence maculaire liée à l’âge. 25% des 135 millions de diabétiques sont suivis par un ophtalmologiste ; 67 millions de cas de glaucome, soit la moitié seulement des cas existants, sont traités. Ces trois pathologies sont responsables à elles seules de 50% des cas de cécité. En 2025, ces chiffres auront triplé, en grande partie du fait de la prévalence élevée de ces pathologies dans la population âgée, qui sera amenée à doubler dans les vingt prochaines années. Comme pour le cancer, le dépistage précoce est le plus sûr moyen d’enrayer cette progression et de réduire le coût humain et social de ces maladies.
Or, les Français ne sont pas seuls à vouloir produire un instrument capable de répondre à cette demande. L’équipe américaine de David Williams y travaille également, de même que des chercheurs chinois « communiquant très peu sur leur travail » comme le fait remarquer François Lacombe, « si bien qu’on ne sait pas très bien où ils en sont… ».
Interférométrie...
Face à cette concurrence, les Français gardent un atout en réserve. L’objectif final du projet Œil est en effet de proposer aux médecins un tomographe haute résolution, c’est-à-dire un outil capable de procéder à des coupes virtuelles de la rétine.
Selon la mise au point de l’instrument, on peut observer la rétine en surface ou en profondeur... : On peut voir ici comment le réseau micro-vasculaire de surface qui irrigue le tissu projette son ombre sur la mosaïque des photorécepteurs. En dépit de ce très bon résultat, l’optique adaptative est loin d’atteindre les performances d’un système couplant optique adaptative et interférométrie.
Or, l’optique adaptative, en elle-même, ne le permet pas. En jouant sur la mise au point, il est possible de distinguer la surface des profondeurs de la rétine. Mais il est impossible de séparer visuellement deux couches cellulaires voisines ou même d’isoler une couche donnée.
Le système actuel doit ainsi être couplé à une autre technologie de pointe utilisée en astronomie : l’interférométrie. Un prototype combinant ces deux techniques existe déjà à l’observatoire de Meudon. Et à ce stade, les chercheurs n’ont, a priori, pas encore de concurrence…
[u]